Lettre ouverte : le Syndicat des audioprothésistes français
Lettre ouverte : le Syndicat des audioprothésistes français (SAF) réagit à l’émergence de réseaux d’audioprothésistes créés par les organismes d’assurance maladie complémentaire et à leurs procédés de positionnement prix.
« Seul habilité à choisir et mettre au point un appareillage, l’audioprothésiste, élément clé de la réussite de l’appareillage Profession de santé à part entière, le métier d’audioprothésiste est répertorié dans le code de la santé publique ». Est confié à l’audioprothésiste : « le choix, l’adaptation, la délivrance, le contrôle d’efficacité immédiate et permanente de la prothèse auditive et l’éducation prothétique du déficient de l’ouïe appareillé.» (Article L4361-1 du CSP).
Les conditions d’exercice sont d’ailleurs strictement encadrées (diplôme, numéro Adeli, local agréé…) et certaines pratiques commerciales sont interdites : « La location, le colportage, les ventes itinérantes, les ventes dites de démonstration, les ventes par démarchage et par correspondance des appareils de prothèse auditive sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. » (Article R4363-2 du CSP).
L’information due aux malentendants est organisée par le devis normalisé prévu par l’article L165-9 du code de la sécurité sociale. Par ailleurs, la distribution de l’appareil auditif est indissociable de la prestation d’adaptation. Ce sont, le choix, l’adaptation et le suivi, mis en oeuvre par l’audioprothésiste, qui confèrent les qualités de dispositif médical personnalisé à l’appareil et garantissent son efficience. En ce sens, à la différence d’autres dispositifs, l’appareillage auditif s’avère donc extrêmement « acteur dépendant ». Les associations de consommateurs ne minimisent d’ailleurs pas ce rôle : « Il est indéniable que le rôle de l’audioprothésiste dans la réussite de l’appareillage est déterminant » (Que Choisir, octobre 2009).
Le libre choix de son audioprothésiste s’impose, en se fiant notamment à sa réputation, excellent critère pour accéder aux professionnels présentant les garanties d’indépendance et de compétence nécessaires.
L’appareil auditif, un dispositif médical et non un bien de consommation
« Un appareil auditif est un dispositif médical au sens de l’article L5211-1 du CSP. Il bénéficie du taux de TVA réduit à 5,5%. Sa délivrance est soumise à prescription médicale préalable. Nous ne partageons (donc) pas, en ce qui concerne l’audioprothèse, la position des représentants de Santéclair qui font fait valoir que (…) les biens concernés par les réseaux de soins (…) sont proches de biens de consommation » (Avis n° 09-A-46 du 9 septembre 2009 de l’Autorité de la Concurrence).
Il est tout à fait envisageable que, dans quelques années, l’appareillage auditif apparaisse comme un des moyens privilégiés pour retarder la survenue de troubles cognitifs. En effet, les résultats de récents travaux de recherche mettent en évidence des conséquences lourdes de la malaudition, qui dépassent les seuls troubles de la communication. Ainsi, par exemple, des liens entre problèmes auditifs et démence commencent à être mis en évidence. Organisé par la Société française de Gériatrie, le 19e Congrès mondial de gérontologie et de gériatrie s’est tenu à Paris du 5 au 9 juillet 2009.
Une communication intitulée « Un lien entre presbyacousie et démence ? » a évalué, dans une population âgée de plus de 75 ans institutionnalisée, l’acuité auditive de 319 sujets. Dans cette population de 85,3 ans d’âge moyen, le risque relatif de développement de troubles cognitifs s’est avéré accru de 2,48 fois chez les sujets atteints d’hypoacousie, comparativement à ceux ayant une audition normale, et la relation persistait, significative, quels que soient la tranche d’âge et le sexe. Des études cas-témoins puis prospectives sont prévues, afin de confirmer ces résultats. Elles seront suivies d’un essai randomisé contrôlé visant à évaluer l’impact d’un appareillage auditif et d’une rééducation orthophonique sur le déclin cognitif des patients atteints de démence légère à modérée. (http://www.jim.fr/e-docs/00/01/B1/A0/document_actu_con.phtml)
Les prestations d’appareillage remises en cause par les réseaux ?
Après une expérimentation en Ile de France en 2008, Santéclair, filiale de Allianz, MAAF-MMA, IPECA et MGP, a lancé un réseau audioprothèse sur l’ensemble de la France en avril 2009. « L’objectif était d’améliorer le taux d’équipement grâce à une politique tarifaire transparente et attractive pour le consommateur avec des prix inférieurs de 40 à 50% aux prix constatés sur le marché » (http://www.santeclair.fr/web/actu.html).
Deux questions se posent :
• Comment sont construits les pourcentages de réduction consentis ?
Nous n’avons pas d’informations sur les méthodes ayant conduit Santéclair à exiger des adhérents à leur réseau « des prix inférieurs de 40 à 50% aux prix constatés sur le marché ». Ces adhérents sont, pour la plupart, des indépendants de petite taille, négociant individuellement leurs achats avec les fabricants, donc sans avantages concurrentiels particuliers. On peut néanmoins faire le parallèle avec l’information suivante : « Les économies réalisées sur les dépenses dentaires pour une personne qui se rend dans le réseau atteignent 16 % chez Santéclair alors qu’elles dépassent 43 % sur l’optique » (La Tribune de l’Assurance, octobre 2009).
Au printemps 2009, un autre acteur d’importance, les centres E. Leclerc, a lancé un réseau de laboratoires d’audioprothèse installés dans les galeries marchandes de ses hypermarchés. Malgré le poids économique de ce nouvel intervenant (en 2008, les Centres E. Leclerc ont réalisé 34,7 milliards de chiffre d’affaires TTC), il s’est fixé pour objectif une offre « 30 % moins chère que chez les autres acteurs du marché sur les appareillages auditifs »… (http://www.lsa.fr/leclerc-inaugure-un-nouveau-concept-specialise-avec-audition-eleclerc,104830).
• Quelles sont les conséquences en termes de prestations de cette pression sur les prix ?
Aucun acteur de la profession n’approche les 40% de marge nette avant impôts nécessaires pour supporter ces exigences. Aussi, deux réponses peuvent être imaginées : une réduction de la qualité de l’appareil ou une réduction de la qualité de la prestation.
Les opticiens semblent avoir opté pour la première solution : « Les représentants des opticiens entendus ont pour leur part indiqué que la pression exercée sur les prix par les OCAM a principalement comme conséquence une réduction de la qualité et non une réduction de leurs marges. » (Avis de l’Autorité de la Concurrence op. cit.). Dans le secteur de l’audioprothèse, l’éventuel remplacement par des produits de moindre qualité n’est pas possible puisque Santéclair impose à ses adhérents des grilles de prix sur des produits nommément cités.
Aussi, la seule solution économiquement viable pour l’audioprothésiste passerait par une réduction de la prestation d’appareillage. Donc, soit les adhérents Santéclair sont dans une impasse économique, soit il est légitime de s’inquiéter pour le futur suivi des appareillages faits à ces conditions financières hors normes, puisque ce suivi est dû pour toute la durée de vie des appareils, soit 5 ans en moyenne.
La certification AFNOR pour que l’accessibilité économique ne se fasse pas au détriment de la prestation
Devant certaines pratiques contestables et le défaut de contrôle des pouvoirs publics, l’Union Nationale des Syndicats des Audioprothésistes Français (UNSAF) a initié une démarche de certification de services fournis par les audioprothésistes avec l’AFNOR en 2006. Cette démarche a ensuite été étendue à l’ensemble des pays européens et la norme devrait être finalisée en 2010.
Nous (le SAF est membre de l’UNSAF) travaillons aujourd’hui à rendre l’audioprothèse économiquement accessible au plus grand nombre. Mais, parce que l’appareillage auditif est « audioprothésiste dépendant », les prestations d’adaptation et de suivi ne peuvent pas être la variable d’ajustement, sans nuire au service médical rendu.
Il est de l’intérêt des malentendants que les évolutions vers un meilleur rapport qualité/prix se fassent sur une base invariable de prestations vérifiables et incontestables. Ces travaux ne pourront se passer de l’expertise des organismes représentatifs des principaux protagonistes que sont les malentendants et les audioprothésistes.
Le Syndicat des Audioprothésistes Français est d’ores et déjà disponible pour dialoguer sur ces questions, afin que les problématiques techniques et économiques de l’appareillage auditif ne soient pas déconnectées de la dimension humaine du handicap auditif. »
Syndicat des Audioprothésistes Français – 19 rue d’Odessa – 75014 PARIS