Naitre ou ne pas naitre, telle est la question ?

Est-ce un préjudice de naître, au lieu de ne pas naître ? A cette question, l »Assemblée plénière a répondu par l »affirmation dans un arrêt du 17 novembre 2000, en se basant sur la cause du handicap. La cour de cassation vient donc de se prononcer, en sa formation la plus solennelle, sur une question de brulante actualité juridique et bioéthique ;  » Un handicapé peut-il se plaindre d »être né avec un handicap congénital au lieu de ne pas être né ?  » . Ce dommage a t-il pour cause une faute d »un tiers ?Est-ce un préjudice de naître, au lieu de ne pas naître ? A cette question, l »Assemblée plénière a répondu par l »affirmation dans un arrêt du 17 novembre 2000, en se basant sur la cause du handicap. La cour de cassation vient donc de se prononcer, en sa formation la plus solennelle, sur une question de brulante actualité juridique et bioéthique ;  » Un handicapé peut-il se plaindre d »être né avec un handicap congénital au lieu de ne pas être né ?  » . Ce dommage a t-il pour cause une faute d »un tiers ?

Une vive émotion collective a accompagné la lecture de cet arrêt. Les parents d »enfants handicapés l »ayant interprété comme un désaveu de leurs choix courageux en faveur de la vie et comme l »annonce d »une pression sociale incitant à recourir à l »avortement chaque fois qu »est constatée une malformation ou même un simple risque de malformation du fœtus.

Or, le seul fait qu »une telle signification ait pu être attachée à un arrêt émanant de la plus haute juridiction est évidemment grave car de nature à compromettre l »image de la justice et à susciter un trouble considérable dans l »opinion.  » La cour de cassation méritait-elle le pilori ? « .

De quoi s »agissait-il en l »espèce ? On s »en tiendra ici à la relation des éléments indispensables à la compréhension du problème1. Une femme enceinte, qui craignait d »être atteinte de rubéole, avait en conséquence fait procéder par l »intermédiaire de son médecin à des analyses de laboratoire. Connaissant les graves risques de malformation qui menacent l »enfant en pareil cas, elle avait fait savoir que si les analyses s »avéraient concluantes, elle aurait recours à l »interruption volontaire de grossesse. Les résultats livrés par le médecin étant rassurants, elle décide de poursuivre sa grossesse jusqu »à son terme. Or peu après la naissance de l »enfant, il apparaît que celui-ci est atteint de troubles gravissimes, notamment neurologiques et sensoriels. Il restera handicapé à vie.

Les parents agissent en responsabilité contre le médecin et le laboratoire, tant en leur nom propre qu »en celui de l »enfant. La première demande aboutira à une décision de condamnation désormais irrévocable, le tribunal fera droit à la seconde demande mais sa décision sera infirmée par la Cour d »Appel, au motif que :  » le préjudice de l »enfant n »est pas en relation de causalité avec les fautes commises  » et que  » les séquelles dont il est atteint ont pour seule cause la rubéole que lui a transmise in utero sa mère « .

1 Les faits de l »espèce sont décrits en détail dans le rapport de M. le Conseiller Sargos, JCP n° 50 du 13 décembre 2000, Jur.II.10438, page 2309.

Au visa de l »article 1147 du Code civil, l »arrêt est cassé, le 26 mars 1996, par la première chambre civile au motif « qu »il était constaté que les parents avaient marqué leur volonté, en cas de rubéole, de provoquer une interruption volontaire de grossesse et que les fautes commises les avaient faussement induits dans la croyance que la mère était immunisée, en sorte que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l »enfant du fait de la rubéole de sa mère « .

L »affaire fut renvoyée devant la Cour d »appel d »Orléans qui, refusant de s »incliner, déclara le 5 janvier 1999 que  » l »enfant…ne subit pas de préjudice réparable en relation avec les fautes commises par le laboratoire… et le docteur … « .

On revient devant la Cour de cassation, réunie en Assemblée Plénière. En visant les articles 1165 et 1382 du Code civil, l »Assemblée Plénière décide que  » dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l »exécution des contrats formés avec Mme X… avaient empêché celle-ci d »exercer son choix d »interrompre sa grossesse afin d »éviter la naissance d »un enfant atteint d »un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultat de ce handicap et causé par les fautes retenues « .

Par cet arrêt, la Cour de cassation affirme donc nettement que c »est le préjudice résultant du handicap qui a été causé par les fautes retenues. L »argumentation autour de laquelle les magistrats de la Cour articulent leur décision consiste dans l »affirmation du lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap. Leur raisonnement semble le suivant : si le médecin n »avait pas commis de faute, la mère de l »enfant aurait probablement décidé d »interrompre sa grossesse, ce qui fait que l »enfant ne serait pas né et n »aurait pas dans ces conditions subi de handicap. C »est donc une conception du lien de causalité en vertu de laquelle la faute médicale est à l »origine de tous les événements qui lui succèdent, selon laquelle il n »y a pas de rupture dans l »enchaînement causal.

L »Assemblée plénière considère qu »il existe un lien, fut-il infime, entre le fait imputable au médecin et le handicap dont souffre l »enfant. Or, de quelque méthode que l »on se serve pour apprécier l »existence d »un lien de causalité, il faut que la faute ait été une condition sine qua non du préjudice. Il faut donc que sans les fautes, le handicap n »eut pu se produire. Selon Monsieur CHABAS, Professeur à la Faculté de droit de l »Université Paris XII,  » Si nous considérons, comme la Cour, que les fautes ont consisté à ne pas informer la future mère de la maladie dont elle était frappée, et que le préjudice de l »enfant réside dans le handicap dont il est atteint, la question ne peut être que celle-ci : si la mère avait été correctement informée, l »enfant n »aurait-il pas souffert de son infirmité ? C »est s »interroger sur les conséquences qu »aurait eues l »information correcte, c »est-à-dire l »absence de faute « . On a pris comme postulat que la mère aurait eu recours à l »interruption volontaire de grossesse. Ceci a permis à la Cour d »éviter de se placer sur le terrain de la perte d »une chance.

Les données du problème ainsi simplifiées, la Cour était conduite aux conclusions suivantes : les fautes retenues n »avaient pas causé la maladie de la mère, ni la pathologie de l »enfant. Aucune thérapeutique ne pouvait empêcher la maladie de se développer et le risque de séquelles de se réaliser. Les fautes avaient empêché la mère de recourir à l »I.V.G., elles avaient causé la vie de l »enfant, une vie qui se trouvait être une vie de handicapé. Le demandeur se plaint donc bien d »être né au lieu de ne pas naître. Pour Monsieur CHABAS, l »erreur de droit est donc manifeste car le préjudice retenu par la Cour n »est pas le bon.

Ce point de vue de la Cour de cassation n »est pas partagé par le Conseil d »Etat, qui dans un arrêt du 14 février 1997, a refusé de reconnaître le lien de causalité entre le préjudice d »un enfant né trisomique et la faute résultant de l »interprétation erronée d »une amniocentèse faite sur une femme enceinte car « un enfant ne peut pas se plaindre d »être né tel qu »il a été concu par ses parents, même s »il est atteint d »une maladie incurable ou d »un défaut génétique, dès lors que la science médicale n »offrait aucun traitement pour le guérir in utero. Affirmer l »inverse serait juger qu »il existe des vies qui ne valent pas la peine d »être vécues et imposer à la mère une sorte d »obligation de recourir, en cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse ». Ainsi le Conseil d »Etat, prend exactement le contre-pied de la position adoptée par la Cour de cassation. Est-ce parce qu »il en a mieux pesé les conséquences ?

Le Professeur MAZEAUD interrogé sur cette décision par le Dalloz considérait  » qu »il s »agit d »une décision qui présente le mérite incontestable de permettre la prise en charge, au moins partiellement, d »un enfant victime d »un grave handicap. Cette décision de l »Assemblée plénière pouvant être analysée comme un arrêt de provocation. En rendant cet arrêt, dans lequel elle se livre à une manipulation dont le droit de la responsabilité est victime, elle provoque des réactions indignées, non seulement du microcosme juridique, mais aussi d »autres milieux intellectuels et scientifiques, dont on peut légitimement espérer qu »elles provoqueront une réaction positive des pouvoirs publics qui prendront enfin leurs responsabilités et assumeront la charge de ces tragédies »

Cette discussion est ici d »une rare difficulté, car au delà de la problématique juridique du lien de causalité entre une faute et un dommage, se pose la question de l »être humain et la question éthique de la dignité et du respect de la personne humaine. C »est en effet essentiellement sur le principe du respect de la personne humaine que se focalisent les controverses sur le droit pour l »enfant de demander la réparation d »un handicap dont l »origine remonte à la vie intra-utérine et qui, pour être évité, suppose le recours à l »interruption volontaire de grossesse. L »alternative est alors redoutable : « ne pas vivre ou vivre un handicap majeur ». Mais reconnaître un préjudice propre à l »enfant, n »est ce pas implicitement admettre que la vie d »un handicap ne vaut pas la vie « normale » puisqu »il faut l »indemniser et admettre aussi que la non-vie est préférable à la vie handicapée ?

Cette affaire montre l »intérêt que présenterait l »institution des dommages et intérêts punitifs que le droit francais ignore, à la différence de beaucoup d »autres systèmes étrangers. Ce type de condamnation aurait pu être utilisé en l »occurrence pour sanctionner les fautes commises et apporter une satisfaction aux victimes sans qu »il soit nécessaire de relever une causalité hypothétique avec le handicap ni surtout de tenir pour y arriver un raisonnement qui suscite des appréhensions légitimes quant aux conséquences qu »il pourrait entraîner2.

2 Cf « Les brèves remarques…  » de Geneviève VINEY, JCP n° 2 du 10 janvier 2001- I-286 page 65 ?

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